Renault annonce le retour du nom Gordini, prestigieux s’il en est. Profitons-en pour redécouvrir la personnalité d’Amédée Gordini, disparu il y a juste 30 ans, qui fit beaucoup pour donner une aura sportive à la marque au losange, mais eut aussi une vie à lui, en défendant presque à lui seul les couleurs françaises jusqu’au seuil des années soixante. Et évoquer brièvement la fameuse « bleue à bandes blanches ».
Par Patrice Vergès
Né en juin 1898 en Italie, Amédéo Gordini est arrivé à Paris dans les années 20. Mécanicien doué, passionné par la course, il ouvre un petit garage à lui, à Suresnes en 1926, après avoir fait ses armes chez les autres. Au volant de Fiat préparées par ses soins, il remporte quelques courses. Amédée a un joli coup de volant qui lui permet de gagner plusieurs fois le Bol d’Or.
Henri Théodore Pigozzi, constructeur à Nanterre des Simca (des Fiat sous licence), lui propose une association. Son officine devient l’écurie officielle de la jeune marque française, en développant des petites barquettes profilées et légères sur la base de Simca 5 et 8.
Les Simca Gordini remportent de nombreuses victoires en circuit jusqu’en 1939. La notoriété de Gordini lui vaut d’être surnommé par le journaliste Charles Faroux « le Sorcier de la mécanique ». En effet, avec peu de moyens et à partir de moteurs de série, il parvient à tirer des puissances élevées grâce à des astuces techniques et des solutions originales et peu coûteuses.
David contre Goliath
Après les hostilités, le Sorcier naturalisé Français poursuit ses activités de préparateur dans de nouveaux mais vétustes locaux Boulevard Victor, près de la Porte de Versailles à Paris. Toujours grâce aux subsides de Simca, il continue de construire des voitures de course à moteurs 1100 de Simca 8. Des barquettes et des monoplaces très légères, qui compensent leur manque de puissance par leur maniabilité. Dans son bureau d’études, le Sorcier use d’astuces pour trouver des chevaux à partir du bloc Simca-Fiat réalésé jusqu’à l’extrême limite du métal.
Les minuscules voitures « bleu de France » ont les faveurs du public. Gordini est un Sorcier aimé des spectateurs qui préfèrent David à Goliath, surtout s’il court sur une voiture française. Sur circuits tourmentés, les agiles Gordini 1200 puis 1440 se révèlent parfois plus rapides que les grosses Talbot et Ferrari 4,5 litres.
Courir après l’argent
Libre, Gordini est soulagé car il peut créer des voitures comme il l’entend, ce qui lui refusait la marque de Nanterre. Il décide de se lancer en Formule 2 puis en Formule 1 et en Sport avec un 6 cylindres en ligne maison de 2,5 litres. Un programme semble-il trop ambitieux !
Comme les précédentes, les véritables Gordini des années 50 se caractérisent par leur légèreté et une certaine pureté mécanique. Mais les résultats son maigres. Si les voitures bleues battent souvent les records du tour, elles voient rarement le drapeau à damiers à l’arrivée. Chez Gordini, on ne change pas. On remplace un pont usé par un autre moins usé. Le Sorcier court après les primes de départ et jongle avec les échéances. Eternellement sans argent, il perd ses pilotes vedettes, Behra et Trintignant, fatigués d’user leur talent pour rien.
En 1955, il dévoile une nouvelle Formule 1 qui innove par sa silhouette enveloppante aux formes aérodynamiques et quelques solutions techniques originales, dont sa suspension par barres de torsion, ses freins à disques et son long 8 cylindres en ligne. Par rapport aux anciennes 6 cylindres aux lignes surannées, la nouvelle semble de taille à combattre l’invincible Mercedes W196 de Juan-Manuel Fangio.
Gordini jette l’éponge
Malgré ses solutions techniques intéressantes, cette type F déçoit, victime comme ses sœurs aînées d’un manque de fiabilité et de performances médiocres dues en grande partie au manque d’argent dont souffre éternellement l’écurie française. Fin 1956, après plus de 30 ans de sport automobile, au bout du rouleau, Gordini envisage de licencier son personnel, et fermer ses ateliers du Boulevard Victor.
Mais avant d’en arriver à ces extrémités, il passe un coup de téléphone à Fernand Picard, le directeur du bureau d’études de la Régie Renault, rencontré lors des 24 Heures du Mans. Ils évoquent ensemble l’élaboration d’une Dauphine plus sportive. Contre une somme raisonnable, Gordini concocte une version plus puissante de la Dauphine, équipée d’un quatrième rapport de boîte de vitesses dont manque cruellement le modèle de série. Un accord signé entre les deux partenaires le 1er janvier 1957 se solde dix mois plus tard par l’apparition de la Dauphine Gordini. Son succès commercial va sauver le vieux sorcier, qui repart à 58 ans pour une formidable deuxième carrière, en devant le motoriste attitré de la Régie Renault.
Nouvelle jeunesse grâce à Renault
Après la Dauphine Gordini, la Régie décide de s’impliquer davantage dans la course. Elle lui demande de développer des culasses double arbres sur la base du moteur de la R8 pour animer les monoplaces et prototypes Alpine. Le succès colossal de la R8 Gordini de couleur bleue à bandes blanches lui donne une immense notoriété à plus de 60 ans. Pour la jeunesse de la fin des sixties, Gordini est un nom magique grâce à la célèbre Coupe du même nom.
Il pousse Renault à développer un V8 3 litres pour animer les prototypes Alpine de Jean Rédélé (ci-dessus). Mais son V8, apparu en 1967, malgré quelques solutions techniques intéressantes, n’est déjà plus dans le coup avec ses 300 ch face aux nouveaux Cosworth et Matra délivrant au minimum 100 ch de plus.
L’arrêt de la piste en 1970 par Alpine (ici aux 24 Heures du Mans 1968 : la A210 1500 de Le Gellec Serpaggi, qui finira 9e au général, derrière laquelle on reconnaît également Christian Ethuin, Jean-Pierre Jabouille et Amédée Gordini) du fait d'un manque cruel de résultats marque la fin des activités officielles du Sorcier.
Mais jusqu’au bout de sa vie, il jouera à merveille avec bonheur et bienveillance le rôle d’ambassadeur pour Renault, car son nom étant devenu un symbole, que la marque française exploitera jusqu’à sa fin, survenue en juin 1979. Trente ans après, Gordini revit, grâce de nouveau à Renault. Les légendes ne meurent jamais…
P. V.
Post-scriptum
La Renault 8 Gordini : salut les copains !
Par Jean-Michel Cravy
Dans l’aride désert qu’était devenu le sport automobile français d’après-guerre, bien plus que son aînée la Dauphine Gordini, pas assez étoffée et encore bien marginale (pour en obtenir une, il fallait exciper d’états de service en compétition !), ce fut bien la R8 G, la « Gorde », la seule, l’unique, qui fut l’arme, et l’âme de la renaissance. Elle, ses victoires au Tour de Corse, et bien plus encore « la Coupe » !
La « Gorde », comme l’appelaient affectueusement ses amateurs… La R8 110 d’abord, et les 78 petits chevaux tirés de sa fameuse culasse hémisphérique, à l’automne 64. Puis la 1300 qui lui succéda très vite, dès 1966, avec sa calandre quatre phares, ses deux bandes blanches qui rayaient sa robe bleue, sa boîte 5 vitesses et ses 88 chevaux DIN (à l’époque, on avançait plutôt 110 ch, aux normes SAE, tellement plus généreuses, et flatteuses…).
Le père Noël n’était pas une ordure
Pas de quoi, à vrai dire, fouetter un cheval… cabré. Quoique ! Pour les 15 000 francs de l’époque, l’affaire était plus qu’alléchante, avec un 1000 mètres départ arrêté qui frôlait les 32 secondes, et une vitesse de pointe de 175 km/h, qui lui permettait de surclasser largement la DS 19 de papa, par ailleurs beaucoup plus chère.
Les plus grands, Juan-Manuel Fangio (ci-dessus près d'une IKA Renault argentine), Jimmy Clark (ci-dessous, qui fait une infidélité à sa fidèle Cortina Lotus) n’y furent d’ailleurs pas insensibles. Même si c’était surtout pour les besoins d’une opération promotionnelle savamment orchestrée par la Régie !
Mais c’est surtout la fameuse Coupe Gordini qui, inaugurant une nouvelle façon de faire de la course automobile, la « formule de promotion », qui mit le pied à l’étrier à un nombre incalculable d’aspirants pilotes, dont beaucoup firent une longue et belle carrière, qui mena certains jusqu’aux portes de la Formule 1.
Les Andruet, Thérier, Jabouille, Leclère, Darniche, Dayan, Ethuin, Ragnotti, Bayard, Cudini, Snobeck, Coulon, Guitteny, Serpaggi, Marcher, Coche, Dorchy, Laffeach, De Chaunac, Hommel, Le Bris et autres Lalande… Sans oublier bien entendu les vainqueurs des 5 coupes R8 G : Mieusset, Lacarreau, Trollé, Lagier, Mangé. La fine fleur de la jeunesse tumultueuse des sixties.
Du jour G à la nuit G
Jusqu’à ce fameux jour G, qui réunit au Paul Ricard en 1970 des centaines et des centaines de « Gordes » venues pour faire cortège à sa remplaçante, la R12 G. Mais ce n’était plus ça, le cœur (gros !) n’y était plus. Pensez donc : une traction avant, beurk, beurk, beurk, comme disait Sophie Daumier !
Parce que la R8 Gordini, ç’avait été plus qu’une simple berline sportive, plus qu’une coupe de promotion : un art de vivre...
La Coupe, les concurrents s’y rendaient avec leur bagnole de course, strictement de série, ou préparées dans les règles de l’art ou bien encore sournoisement bidouillées « ni vu ni connu/j’t’embrouille », par la route, « à donfe » naturellement, en se tirant la bourre avec les potes retrouvés aux abords du circuits.
Et ils en revenaient par la route. Du moins si la Gorde était encore en état de marche, si elle n’était pas trop chiffonnée, si on n’avait pas fait un béret dans la cohue du premier virage…
La R8 Gordini, ça a vraiment été la voiture du baby boom. Les désormais vieux papys boomers, au bord de la retraite, blanchis sous le harnais, s’en souviennent encore avec des trémolos dans la voix. De ce temps où ils étaient jeunes, beaux, et ardents. Et insouciants. Du temps où c’était « Salut les Copains »…
Retour vers le présent
Entre le jour G, qui vit l’enterrement en grandes pompes de la glorieuse R8 Gordini, et la nuit G qui sanctifie ce 24 novembre 2009 la renaissance de la griffe Gordini, désormais apposée sur de modernes Twingo et autres Clio III, presque quarante ans ont passé. Doit-on pleurer sur le passé, ou aller de l’avant ? Oui. Non. Les deux…
Parce que sans retrouver ses racines, il n’y a pas d’avenir possible. Au présent.
J.-M. C.