Cette fois, ça y est : le nœud gordien est tranché. Chrysler vient de se mettre officiellement sous la protection du fameux chapitre 11 de la loi américaine des faillites !
Par Jean-Michel Cravy
La menace couvait depuis des mois, aussi bien pour Chrysler que pour General Motors. Personne ne voulait y croire vraiment tant une telle issue paraissait inimaginable, s’agissant de ce qu’il fut le fleuron de l’industrie américaine. Pendant un siècle, on a pu parler des "big three". Une époque vient de finir...Ford fait profil bas, espérant s’en sortir par lui-même (avec de copieuses aides de l’administration).
GM, l’ex numéro un mondial, n’en finit pas de se couper un bras, une jambe pour stopper la gangrène, de rendre à Saab sa liberté en lui versant une dot, de céder Hummer pour une poignée de roupies au premier qui passera, de jeter des marques centenaires aux poubelles de l’histoire (Oldsmobile déjà, et maintenant Pontiac), de tenter de se séparer honorablement de sa filiale européenne, Opel.
Quant à Chrysler, le plus petit des Big three, traditionnellement le plus fragile, il est le premier à succomber à ce mal qui ronge depuis longtemps l’industrie automobile américaine, l’inadaptation aux temps modernes, encore aggravée par la violente crise financière qui s’est déclenchée ces derniers mois. Le groupe Chrysler (Chrysler, Jeep, Dodge) n’y aura pas survécu…
Jusqu’à la dernière minute, on avait pu espérer qu’une élégante sortie de crise soit trouvée. Les principaux intéressés, les grandes banques comme CityGroup, Morgan Stanley, JPMorganChase, avaient donné leur accord.
Mais une partie des créanciers (les fonds spéculatifs Oppenheimer Funds, Xerion Capital Fund, et Stairway Cap Management.) a joué la politique du pire, et n’a pas voulu accepter les conditions posées par Barack Obama (qu’ils abandonnent leurs droits sur 6,9 milliards de dollars de dette sécurisée, en contrepartie du versement de 2,25 milliards de dollars en cash, contre 2 milliards auparavant), cherchant à entraîner les autres dans leur refus psychorigide.
Un bras de fer entre les spéculateurs et l'administration américaine Au delà, il y a eu, de la part de ces fonds spéculatifs, la volonté de tester, dans un véritable bras de fer, la capacité de résistance de la nouvelle administration face à Wall Street (le mur de l'argent), et à ses intérêts, qui n'ont rien à voir avec les intérêts du plus grand nombre.
Ce bras de fer avec Barack Obama, les prédateurs de Wall Street l'ont perdu. Et ont perdu leurs créances sur Chrysler !
Devant cette situation de blocage, les encore actuels dirigeants du groupe Chrysler, Tom LaSorda et Bob Nardelli, n’ont plus eu d’autre alternative de se déclarer en faillite, et de se placer sous la protection du chapitre 11 de la loi des faillites américaine. Effet immédiat : toutes les usines du groupe sont fermées immédiatement, et jusqu’à nouvel ordre.Barack Obama a aussitôt exprimé un message optimisme sur l’avenir de Chrysler, « promis à la réussite ». Optimisme oblige, évidemment...
Concrètement, l’UAW (United Auto Workers), le syndicat des travailleurs, qui a renoncé à toute forme de grève, et consenti à une sérieuse réduction des coûts salariaux, détiendra 55% du capital de la nouvelle structure, le gouvernement américain 8%, le gouvernement canadien 2%.
Et Fiat, dont l’entrée comme partenaire opérationnel, et pilote de l’attelage est enfin officialisée, à hauteur de 20%, qui pourront être portés ultérieurement à 35%.
Fiat ! Le constructeur italien, lui-même en grande difficulté il y a peu, a su se redresser de manière spectaculaire grâce à une politique de qualité et au succès de quelques modèles (Bravo, Grande Punto, 500). Comme quoi le pire n’est jamais sûr ! Et du coup, c’est un vrai message d’espoir.
Reste que le mariage de deux cultures d’entreprise, et de marché, ne va pas aller forcément de soi… On a vu ce que ça a donné avec Daimler/Mercedes. C’est évident : Chrysler a un besoin urgent de modèles, de plateformes et de motorisations plus « raisonnables », en phase avec les attentes des consommateurs américains. Mais de là à leur « vendre » des « petites italiennes » badgées Chrysler… Méfiance !
C’est en tout cas une bonne affaire pour Fiat (qui par ailleurs lorgne sur… Opel !), qui va pouvoir s’implanter sérieusement sur le continent nord-américain, et développer ses propres ventes à travers le réseau Chrysler…
Restent de nombreuses questions en suspens pour imaginer un nouveau Chrysler à l’avenir radieux, et compétitif sur le marché mondial. L’actionnaire majoritaire de la nouvelle entité est donc l’IAW (United Auto Workers), à hauteur de 55%, en échange de son renoncement à une créance de 10 milliards de dollars due par l’ancienne Chrysler.
Mais comment se passera la cohabitation avec Fiat, pilote industriel, qui ne détient actuellement que 20% du nouveau capital, même si il est porté, à terme, à 35% ? C’est un risque potentiel de conflit d’intérêts… et de conflits tout court !
Quel sera le poids réel des administrations américaine et canadienne, qui vont fournir, dans l’immédiat 4 milliards de dollars, puis plus tard 5 ou 6 supplémentaires. Barack Obama a été clair : il exige qu’au moins 40% du volume des ventes de la future Chrysler proviennent des usines américaines, et que la production totale sur le sol US atteigne au moins 90% du niveau de 2008.
Qu’en pense Fiat, qui risque d’être le dindon de la farce ? On en reparle dans dix ans ?