Il y a des voitures sans histoire et celles avec lesquelles au contraire, on aurait aimé avoir une histoire. C’était le cas de l’Austin Cooper S qui a laissé son nom dans l’histoire.
Par Patrice Vergès
Trop vite ! Notre Cooper S ne passera jamais ce virage abordé à trop vive allure. Le pied, par instinct de survie se surprend à lâcher la pédale d’accélérateur. Comme par miracle, la petite voiture pivote son capot vers l’intérieur pour s’y ruer avant de se jeter sur le virage suivant. Ou au contraire un bref coup de gaz placé au bon moment fait glisser le nez le long de la corde avant de bondir à l’assaut du suivant ou le miracle devrait si tout va bien se reproduire. Hier comme aujourd’hui, l’Austin Cooper repoussait sans cesse les lois élémentaires de la physique sur routes tourmentées.
Petite voiture pour grand plaisir
La Mini Cooper a non seulement inventé l’histoire des GTI avant la lettre. Elle a surtout réinventé l’histoire de la tenue de route. Au début des sixties, les voitures étaient généralement des propulsions à essieu rigide, portées par une suspension molle pour donner un maximum de confort sur des voies étroites. Au contraire, la Cooper était basse, dure, posée sur des voies hyper larges, avec des roues repoussées aux quatre coins de la carrosserie. En prime, elle offrait les vertus de la traction avant sans en avoir les vices grâce à sa mécanique transversale améliorant l’équilibre malgré son empattement de voiture d’enfant. D’où son surnom de « planche à roulettes »…
C’est ce qui expliquait le grand palmarès de la petite britannique, autant en rallyes que sur la piste, où elle ridiculisait des voitures à la cylindrée infiniment plus importante, pilotée par des dieux vivants qui ne roulaient pas avec : ils volaient ! Ils s’appelaient Rauno Aaltonen, Paddy Hopkirk, Timo Mäkinen ou encore Pat Moss/Carlsson en rallyes,
et en circuits « smokey » John Rhodes (ainsi surnommé parce qu’il faisait fumer ses pneus avant comme personne en balançant sa Mini « flat out » en virages), John Fitzpatrick, John Whitmore, John Love ou encore Jean-Louis Marnat en France.
Ses possesseurs faisaient partie d’une caste à part. En 1961, la Cooper 1000 de 56 chevaux, qui flirtait déjà avec les 140 km/h, lança la mode de la petite berline sportive. Face à son succès autant commercial que sportif, une évolution plus rapide appelée S fut développée d’abord en 1100 cm3 puis en 1300 dès 1964. Malgré son prix élevé (14 590 francs en 1966) soit 40% de plus que la Cooper 1000, déjà loin d’être bradée, la S fut tout de même construite à 25 000 exemplaires en 6 ans.
Le minimum syndical
Contre cette somme, l’acheteur n’avait même pas droit au minimum syndical de la sportive de base d’alors. Pas l’ombre d’un compte-tours, un grand volant en bakélite aux deux branches ridicules, des glaces coulissantes comme une 4 CV Renault, des lanières pour fermer les portes aux charnières apparentes, des siéges impossibles et même pas un look plus évocateur que celui de la 850, alors déjà très en vue dans les beaux quartiers.
Contre cette somme, en revanche, l’acheteur avait droit à la voiture qui s’était imposée tout de même quatre fois au rallye de Monte-Carlo notamment en 1966 où elle fut déclassée. Une histoire qui fit tant d’histoires ! On lui reprocha, officiellement, des phares à iode « non conformes ». Mais c’était pour la forme. Pour permettre à la marque de se retirer honorablement. La vérité, c’est que les officiels avaient repéré que les Mini à l’arrivée… n’étaient pas exactement les Mini contrôlées au départ ! Il faut dire que c’était alors une pratique assez courante, et qui n’était pas l’exclusivité de la BMC, loin de là…
Mais c’est surtout sous le court capot que se cachait la différence sous la forme d’un bloc renforcé à l’aide de nombreuses pièces spécifiques, notamment un vilebrequin nitruré. Un 1275 cm3 longue course alimenté par deux carburateurs donnant une puissance pas extraordinaire de 75 ch, il est vrai proche des normes DIN, avec surtout beaucoup de couple, et seulement 650 petits kilos à tracter. Un rapport poids-puissance néanmoins équivalent à la Mini Cooper du troisième millénaire !.
Des prix doublés !
Après avoir signé un chèque coquet, le propriétaire français de la Cooper devait se ruer chez un spécialiste de la marque (Marnat, par exemple) qui lui proposait une liste d’accessoires épaisse comme un bottin du téléphone. Par exemple, un petit volant en bois signé « Les Leston », appuyé par un abaisseur de colonne de direction et un recul de siège pour conduire les jambes moins écartées afin de ressembler à un rallyman plutôt qu’à un conducteur d’autobus, qui s’accompagnaient, évidemment de rallonges de commodos, désormais hors de portée du pilote... A force, il pouvait obtenir l'équipement de la Mini officielle de Rauno Aaltonen, victorieux au Monte Carlo ! A défaut de son talent...
Bien entendu, il devait obligatoirement monter la pédale d’accélérateur spéciale « Paddy Hopkirk » autorisant le double pédalage. En revanche, la flasque de gin, elle aussi « spécialr Paddy Hopkirk » dans le vide poches de portière pour s’en mettre un petit gorgeon derrière la cravate « avant d’attaquer les spéciales » (anecdote véridique, et confirmée par l'intéressé lui-même !), n’était pas proposée. Même vide. Même en option…
Evidemment, il était conseillé de l’équiper d’un compte-tours « Speedwell » (accessoire alors commercialisé par un certain Graham Hill, alors abonné aux petits boulots avant de devenir le champion du monde de F1 que l'on sait !), et s’il lui restait un peu d’argent, d’un silencieux central à grosse section, à l’aboiement plus suggestif. Vu la sécheresse de la suspension, le protège carter était le bienvenu comme les phares supplémentaires ou un radiateur d’huile.
Seuls les très fortunés pouvaient acquérir les jantes en magnésium de 10 pouces à fort déport, qui allaient de pair avec les élargisseurs d’ailes et une paire de baquets en polyester moulés pour mieux maintenir le corps en virage, où la voiture passait à la vitesse du son. Au bout du compte, ils arrivaient facilement à 20 000 francs soit environ 40 000 euros 2009. BMW n’a rien inventé avec les prix actuels d’une Cooper S agrémentée de quelques kits !
Un acrobate de la route
Contre cette somme, le conducteur de la Cooper S rentrait dans l’univers d’un Timo Mäkinen ou d’un John Rhodes. II devenait une sorte d’acrobate de la route sans filet, à l’époque où les platanes jouaient le rôle des rails.
En ville où sa Cooper était toujours première au Grand Prix de feux rouges par son démarrage vif dû en partie à son embrayage brutal et à la sécheresse de ses accélérations dans l’aspiration des deux carbus SU rugissant à travers l’habitacle.
Sur routes où après avoir passé la borne des 1000 mètres en 35 secondes, la Cooper S crachait le feu, lancée à 160 km/h. Pas mal il y a 35 ans.
Assis au raz du bitume, cramponné à ce satané volant encore trop plat dans un concert de vibrations et de violents coups de raquette de la suspension, le conducteur d’une Cooper imaginait rouler à 200 km/h.
De toute façon si un rare adversaire tentait de lui résister en ligne droite il le retrouvait dès que la route tournicotait, où il l’oubliait en deux virages qu’elle avalait comme s’ils n’existaient que dans l’imagination de son conducteur à condition qu’il ait compris que l’accélérateur était la clé de l’axe de rotation de ce mini bolide. Autrement, il s’embarquait dans une sale histoire !
Suspension efficace… mais absente
Outre un bon compte en banque, car la Cooper était extremment vorace en pneus Dunlop SP Sport, dont les plus rapides se vantaient de les user en 5000 kilomètres, et un solide appétit exigeant le montage d’un deuxième réservoir qui squattait le déjà minuscule coffre, le possesseur de Cooper devait avoir une colonne vertébrale en béton. La suspension « hydrolastic » était terriblement efficace mais par ailleurs terriblement absente.
En France, si la Cooper S a eu son destin commercial brisé par la R8 Gordini, plus rapide et moins chère, ça n’a pas été le cas dans les autres pays européens. Il est vrai que la longévité de la Mini lui a permis de vivre plusieurs vies autant avec Innocenti dans les années 70 qu’avec Rover plus tard, qui ont cultivé le mythe éventé de son nom jusqu’à l’indigestion avant que la nouvelle Cooper S ressuscitée par BMW se considère comme la fille légitime de la Cooper S des sixties.
Mais comme disait Kipling, cela est une autre histoire !
P. V.