C’est la plus adorable des petites voitures des sixties. Non seulement la Fiat 500 était géniale mais elle savait être modeste. Retour sur une voiture populaire comme on ne sait plus en faire.
Par Patrice Vergès
La Fiat 500 était la moins chère des voitures des années 60. Pourtant, en l’achetant, on n’avait pas l’impression d’acquérir une automobile de pauvres. D’ailleurs, on ne roulait pas avec par dépit mais par envie. Envie d’une petite citadine se faufilant partout. Envie de sa bouille rondouillarde de bonne copine. Envie identique au sein de toutes les classes sociales, riches ou pauvres, jeunes ou vieilles.
Produite à 3,6 millions d’exemplaires, la 500 a vécu longtemps, de 1957 à 1972 et même plus en Italie. C’est paradoxalement en fin de carrière, qu’elle s’est payé ses records de production avec la version L présente sous vos yeux qui jouait à la citadine de luxe.
A cette époque, c’était quoi le luxe ? Trois fois rien. Des pare-chocs tubulaires renforcés, une planche de bord noire plus flatteuse, quelques centimètres carrés de moquette sous les pieds, un zeste de chromes autour des glaces, deux trois babioles à trois francs six sous et hop, le tour était joué !
De tendres rotondités
Elle avait conservé sa silhouette aux formes rondes et démodées générant une visibilité médiocre surtout de trois quarts avant. Son architecture était déjà d’un autre temps ; moteur arrière en porte à faux, boîte de vitesses sans syncros, suspension indépendante oscillante à carrossage variable, largeur aux coudes étriquées, coffre avant à la capacité ridicule, bruit insupportable. Qu’importe !
L’impardonnable sur une autre, était béatement accepté sur la 500 grâce à son charme fou. Il suffisait de se balader en ville pour se rendre compte qu’elle était dans son jardin. Ses moins de trois mètres de long lui permettaient de trouver toujours une place trop grande pour elle. Une direction douce commandée par un tout petit volant, un rayon de braquage de vélo transformaient une manœuvre en jubilation urbaine.
D’un coup de poignée, dès les beaux jours, elle se transformait en petite découvrable en illuminant de lumière son habitacle qui savait compter jusqu’à quatre petites places accueillant des poches et paquets que son coffre minuscule ne pouvait accueillir, ou de jeunes enfants ravis que leur maman soit venue avec la 500 les attendre à la sortie de l’école. Si elle avait eu une R4 ou 2 CV, ils auraient fait croire à la directrice qu’ils étaient orphelins !
S’aventurer sur la route
Cette citadine n’avait pas peur de prendre la route. Certes, ce serait nettement exagéré de la qualifier de grande routière, mais ses 22 ch SAE, disons 18 DIN et on n’en parle plus, lui permettaient de fendre le mur des 100 km/h en descente où le bi-cylindre bramait joyeusement en se tapant toutes les 2 CV.
En montagne, la 500 était loin d’être ridicule. Son empattement de voiture d’enfant, sa boîte de vitesses bien étagée commandée par un petit levier précis lui donnaient une sacrée maniabilité à condition que son pilote connaisse bien les ficelles du survirage.
D’ailleurs, la 500 avait tâté de la course en Italie. Le sorcier Carlo Abarth avait développé une version poussée, la « 695 esse esse » sacrément méchante, dépassant les 130 km/h.
Que du bonheur
Si la 500 était économique, se contentant d’une moyenne de 6 litres aux 100, elle n’était pas réalisée à l’économie du moins elle n’en donnait pas le sentiment par rapport à d’autres populaires françaises à la finition déplorable.
Certes, il n’y avait que le minimum syndical à bord, la jauge à essence s’est fait longtemps attendre et si en hiver, on se caillait un peu à cause du chauffage prenant l’air chaud autour des cylindres, l’été elle n’était jamais chaude grâce à son demi-toit en toile et ses glaces descendantes refusées aux 2 CV et R4. Quel bonheur de conduire le coude à la portière pour mieux prendre ses aises !
La Fiat faisait du bruit, beaucoup de bruit surtout pour une aussi petite voiture. Des bruits pas agréables. Son vertical-twin de 500 cm³ refroidi par air émettait un son de crécelle très caractéristique. En prime, l’Italienne ajoutait un bruit de démarreur ferraillant, commandé au plancher à coté du levier de vitesses, loin de la petite clé de contact fichée au milieu de la planche de bord. Une disposition aujourd’hui très tendance ! Sa sonorité nourrissait le sentiment que la voiture ne démarrerait jamais. Mais, tous ces sons n’étaient rien par rapport à ceux émis par la boîte de vitesses, à crabots comme celle d’une moto.
Difficile sauf pour les rois du Tango argentin, qui maîtrisaient l’art du pointe-talon, de passer la première sans entendre un « clonck » et de rétrograder sans un « craack » tout en ayant la sale impression de tailler dans le vif de la denture si on avait le poignet timoré. En bonus, on avait droit en plus à quelques vibrations stimulantes au chant plaintif du pignon de première, genre enfant mal réveillé chouinant pour aller à la maternelle. Cela dit, cette boîte commandée par un petit levier au plancher était digne de celle d’une voiture de sport avec un étagement apte à exploiter le moindre dixième de cheval vapeur.
Voici comme on percevait il y a près de 40 ans cette voiture qui faisait déjà bien son âge. Aujourd’hui, par rapport au volume de sa grande sœur la 500 actuelle, elle semble minuscule. On dirait une grosse voiture d’enfant.
En fait, dans une 500 tout est minuscule. Le volant, les commandes, le pédalier décentré qui exige des pieds d’adolescent, la largeur qui rapproche intimement les occupants tout en les plaquant contre la portière. Avec à peine plus de chevaux qu’un scooter, ce petit joujou rame un peu en matière d’accélération et à du mal à suivre le flot urbain mécanisé actuel. Sur route, c’est pire encore où il faut composer avec le déplacement d’air des 38 tonnes vus de si bas et qu'ils la font danser comme une barque folle prise dans le sillage d’un gros bateau à moteur.
Toujours branchée
Qu’importe, la 500 très recherchée et hyper branchée, vedette de nombreux films dont le fameux « Grand Bleu » de Besson, dégage toujours autant, si ce n’est plus de charme et de plaisir de vivre qu’au temps de sa splendeur.
Elle s’est faite rare, emportée par une maladie congénitale appelée rouille qui a décimé des générations de Fiat. On l’aime car elle est le reflet d’une époque où on était plus gai, du moins imaginons de le croire, et symbolise toujours les jours heureux d’une portion de vie. On l’aime pour sa bouille extraordinaire et formidablement sympathique.
Hier comme aujourd’hui, retrouver ce joujou d’adulte devant chez soi, réveiller son bruit de guêpe, se faufiler dans les méandres de la circulation, redécouvrir la sympathie dans l’œil du piéton, trouver toujours une place pour se garer, est un rayon de soleil de la vie au milieu de tant d’averses !
P. V.